J’ai été invitée à Paris au deuxième rassemblement ECCLESIA CANTIC avec Philippe Goeseels au nom du Département de musique liturgique du Diocèse Malines-Bruxelles. Avec Philippe Robert, présent officiellement au nom de l’ACCREL, nous étions trois Belges, perdus au milieu d’une marée de jeunes joyeux et dynamiques, organisés, accueillants, prévenants, équipés des dernières technologies et prêts à prendre leur place de façon très officielle dans le paysage du chant liturgique francophone. Notre collègue suisse, Emmanuel Pittet est venu renforcer notre petit groupe avec Agnès Buffard, membre de la commission chant et liturgie du SNPLS.

Fabien Barxell, quant à lui, avait engagé le SNPLS-musique depuis le début de l’aventure en soutenant les jeunes dans leur démarche avec conviction et persévérance.  

Paul Craipeau avait par ailleurs proposé de prendre en charge les frais d’impression des livrets de chants au nom d’Ancoli.

En deux mots, j’ai été surprise positivement par l’enthousiasme des jeunes, leur qualité d’organisation et leur soif d’apprendre, leur désir de rencontrer le Christ, de donner du sens à leur vie.  Cet élan est magnifique. Il fallait voir comment ils étaient heureux de chanter dans les rues, de se retrouver pour chanter et chanter encore. Cela faisait chaud au cœur !

J’ai observé chez ces jeunes un cocktail détonnant de rencontres attentives, de joies partagées, de désir de bien célébrer et beaucoup d’audace pour chanter à plus de 1200 voix. J’ai vu une organisation réglée comme du papier à musique, des jeunes désireux d’apprendre et de bien faire, intéressés par la liturgie et surtout par la musique vocale polyphonique a capella.

J’ai rencontré des jeunes animés d’un grand idéal, prêts à chanter dans les rues pour témoigner de la joie de croire.

Mais j’ai aussi ressenti plusieurs fois un malaise face à ce que je vivais dans telle ou telle célébration ou dans les prises de parole dans les ateliers ou lors de la conférence introductive, et j’ai été surprise négativement par plusieurs choses.

Tout d’abord, pour un rassemblement de cette ampleur, c’est assez étonnant qu’il n’y ait eu pratiquement aucun responsable d’église qui soit venu au minimum  pour voir!  Par contraste, la présence de notre petit groupe de franco-belgo-suisse a été d’autant plus remarquée et appréciée. Il y avait vraiment très peu de personnes de notre âge et de notre sphère d’adultes formés en liturgie.

Par ailleurs, j’ai été très étonnée par le type de population : pas un seul étranger. Quel contraste lorsque nous avons repris le métro en sortant de Saint-Sulpice !

Et j’ai aussi été frappée par le retour en arrière sur le plan des pratiques rituelles et du contenu théologique des chants, sans parler du rapport texte-musique souvent bancal et de l’écriture musicale maladroite et non-aboutie.

J’ai fortement regretté que le choix du répertoire soit si peu représentatif de la multiplicité des créations musicales actuelles et donc aussi de la richesse ecclésiale à apporter dans ce genre d’événement.

En effet, le week-end s’est basé tout entier sur un répertoire très inégal, où toutes les œuvres se ressemblaient au niveau de la couleur harmonique, « berçante », et où tous les chants étaient placés sur le même pied alors que certains d’entre eux étaient maladroits par manque de connaissance d’écriture musicale et/ou poétique par rapport à quelques chants étonnamment très anciens, considérés sans doute comme rassembleurs.  

Il n’y avait guère de diversité musicale.

Le contenu des chants était lui aussi très « uniforme », dans le droit fil d’une théologie dévotionnelle où les mots-clés étaient « gloire », « péché », « adoration », « trône », « roi tout-puissant », « Très-haut », « sainte hostie », « calice », « sacrifice ».

Un vocabulaire plus « ecclésial » où il serait question d’assemblée, de communion, communauté, don de soi, rencontre de l’autre, de partage, de justice me semblait absent du répertoire choisi pour l’événement. Le répertoire choisi était envahi par un vocabulaire piétiste et dévotionnel où l’Écriture servait de marche-pied pour des pratiques rituelles d’adoration et de prière personnelle plus qu’ecclésiale.

J’ai assisté à des pratiques rituelles comme ressorties des tiroirs du passé, astiquées comme de la vieille argenterie de famille mais franchement désuètes. Peut-être les jeunes leur trouvent-ils justement le charme et l’émotion attendrie que l’on peut ressentir devant des antiquités qui semblent nous parler d’un passé révolu où tout était plus harmonieux et plus beau.

Je me pose des questions sur les professeurs qui forment les jeunes séminaristes et animateurs que j’ai croisés dans les ateliers.  Ces jeunes ne sont pas conscients de ce décalage à mon avis car ils ne semblent pas connaître pas la complexité du très long cheminement qui a mené à la Constitution sur la Liturgie, née à l’aube de Vatican II.

Cela me questionne.

Personnellement, je suis partante pour créer des liens autant que possible avec ces jeunes si enthousiastes.Trouver la bonne « porte d’entrée ».

Le chant est la clé, donc prenons cette clé.

Je pense que le Pape François trouve la clé quand il  invite les jeunes à Rome pour les écouter et les connaître, pour les questionner et réfléchir avec eux. Il trouve la clé quand il les rejoint sur les réseaux sociaux et accepte de dialoguer sans relâche tout en proposant des repères concrets, solidement ancrés dans la tradition vivante d’un foi qui s’incarne aujourd’hui et maintenant. Je pense qu’il trouve la clé quand il les encourage à s’engager, à poser des choix, à se connecter aussi souvent que nécessaire à la prière et à la Parole de Dieu.

Pour terminer cette réflexion, si je devais organiser quelque chose de semblable à Bruxelles, je l’appellerais sans doute autrement, par exemple « Ecclesia Cantic Mozaïk » en valorisant la richesse de la rencontre des cultures, non pas sur un plan ethnologique mais bien sur un plan théologique vital : Dieu se révèle dans chaque peuple, à chaque fois un visage de Dieu, et à chaque fois une manière de donner vie à la Parole qui nous renvoie à notre propre manière de la vivre.

Mais je choisirais aussi le chant comme porte d’entrée.

Le Christ n’est pas venu instaurer un code rituel mais bien une bonne nouvelle pour les pauvres, les petits, les sans-voix, les sans-pays, les malades, les prisonniers.

Comment créer des ponts avec ces jeunes ?

Comment les relier à une histoire récente, celle du Concile Vatican II, tout en restant à leur écoute ?

Leur dynamisme montre un chemin.

C’est le même élan qui rassemble les jeunes qui vont prier avec des groupes des rock chrétien, des groupes de pop-louange, des groupes de prière charismatiques, etc.

C’est aussi le même élan qui poussent tant de jeunes à chercher Dieu dans un engagement solidaire.

Ils s’engagent, ils nous bousculent !

Que l’Esprit nous inspire des initiatives qui nous relient.

Béatrice Sepulchre, déléguée pour la musique liturgique à la CIPL (Belgique)
(Commission Interdiocésaine de Pastorale Liturgique)

Janvier 2018