par Gaëtan de Courrèges

« Elles entrèrent mais ne trouvèrent pas le corps du seigneur »… « Pierre courut au tombeau ; mais, en se penchant, il ne vit que le linceul ». J’aimerais, en cette nuit de plénitude, vous ramener aux origines : à la pierre creuse.
Le tombeau vide.

Voici donc sur quoi est fondée la foi des chrétiens : un tombeau vide… Un linceul vide, lui aussi.
Une preuve qui n’en est pas une : l’absence de corps ne tiendrait pas pour une preuve de résurrection, même dans le roman policier le plus médiocre.

Et c’est pourtant le cœur même de notre foi, pas un à-côté anecdotique.
Le bœuf et l’âne à la crèche sont secondaires. Et même les miracles de Jésus, et même  ses discours, à côté de cet acte fondateur…
Ce tombeau vide est notre matrice.

« Si Dieu n’existe pas, dit Woody Allen, j’ai payé trop cher ma moquette ». Humour, bien sûr.
« Si le Christ n’est pas ressuscité, dit St Paul, notre foi est vaine. Et alors nous sommes les plus misérables des gens ».

Pas de photo de Jésus fracassant les dalles.
Pas même d’évangile racontant la fulgurante illumination du big bang pascal.
Rien.
Moins que rien : le vide, le trou, le manque, l’absence…
Pas de preuve… Ou alors une preuve en creux, une béance.

Et ce sont des femmes qui en font l’expérience initiale.
Il ne pouvait en être autrement.
On l’a dit et redit : il y a dans ce texte quelque chose d’utérin.
Délivrance et mise au jour.
Enfantement d’un homme et d’un peuple.
Le ventre de la terre accouchant de l’Adam nouveau.
Ce tombeau est le berceau de l’Homme encore à naître, celui que nous appelons de nos vœux…
Le tombeau trop plein.
Mais la nature a horreur du vide.

Il y a quelques années, passant par Jérusalem, mon père Jean Debruynne et moi-même entrions pour la première fois dans le Saint Sépulcre.
Je m’en étais fait une idée inspirée par les tableaux des peintres et par mon propre imaginaire : une roche creusée au milieu d’un champ de verdure, surplombée par le mont du Golgotha. 

Et voilà que nous débouchions dans une basilique encombrée de tentures, de banderoles, de lampadaires fumants, grouillante de pèlerins et de touristes sollicités par diverses confréries concurrentes.
J’avais rêvé d’un ermitage : je me trouvais à la ducasse.

M’est alors revenue cette phrase terrible : « Ce que les barbares n’ont pas réussi à faire, la piété populaire l’a réalisé ». Raser la montagne sainte… Jean s’est tourné vers moi et m’a dit : « Le tombeau n’a jamais été aussi vide ! »

Oui, la nature a horreur du vide. La religion aussi. Donnez-lui un tombeau vide : elle le remplit, donnez-lui une interrogation vitale : elle lui impose une certitude, donnez-lui une question : elle crée un dogme…
Il y a toujours des calmants prêts à soigner nos angoisses, des slogans prêts à cadrer nos libertés, des gourous prêts à remplacer l’absent du samedi… Comme si on n’avançait pas mieux de questions en questions que de réponses en réponses, comme si les garde-fous et les assurances étaient moins humains que le vertige et le risque. Comme si Dieu n’avait pas choisi délibérément de se manifester en Jésus-Christ dans la faiblesse plutôt que dans l’éclat.

Et cette nuit, dans l’absence…
Comme s’il valait mieux un tombeau trop plein qu’un tombeau vide.
Le tombeau passage.

« Un linceul n’a pas de poches », dit-on chez moi. Nu je suis né, nu m’en irai. Sans richesse et sans autre gloire que celle de l’humain.

Toutank Amon ou l’empereur de Chine se font accompagner dans la mort par leurs chars et leurs fantassins. Jésus ne garde rien avec lui, dans ce tombeau qui ne lui appartient même pas.
Il y a juste le linge abandonné, comme celui d’un nageur qui traverse tout nu la rivière. Car il s’agit bien d’une traversée.
Ce tombeau n’est pas une fin, mais un commencement.
Cette grotte n’est pas un cul-de-sac, mais un passage. Ne sommes-nous pas dans la nuit du Passage, dans la nuit de la Pâque ?

Nous n’avions pas d’assez bons yeux : il y avait une brèche.
Jésus était trop libre pour être enfermé.
Il nous précède en Liberté.

Ressuscité, je ne sais pas le bruit que fit ton réveil.
Ou le silence.
Je ne sais pas si la lumière fut aveuglante autour de toi.
Ou bien si la pénombre du tombeau ressemble à ces trous noirs dont nous parlent les astrophysiciens : portes ouvertes vers un ailleurs que tu aurais empruntées, et dont nous ne savons pas grand chose.
Je ne sais rien de ces hommes vêtus de blanc… 
Je suis juste là, dans un monde trop plein et trop creux à la fois, trop plein de bavardages, d’argent et de fureur, trop creux de sens et de tendresse.
Autour de moi, tous ces humains marqués par le vide de l’espoir et de l’absence.

Regarde-les, regarde-nous, Ressuscité.
Regarde ton Église tentée par la nostalgie de ses grandeurs passées et de ses dorures pâlissantes.
Donne-lui la force, donne-nous la grâce de ne venir chercher à ton caveau d’autres reliques que celles de ton avenir, de notre avenir.

Amen.

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