*Frédéric Boyer – notamment – dans sa traduction récente des Évangiles, traduit « fils d’humanité ».

LE TEMPS DE L’UNITÉ.
Et si lire les signes du temps était à la portée de tous ? Si, si : nous sommes dans un monde finissant. Pas fini, mais en transformation profonde, avec les soubresauts inévitables de l’ancien monde et l’incertitude du lendemain. Serait-ce un enfantement, un relèvement, une vie nouvelle ? Pour certains le découragement, pour d’autres l’engagement. Des regrets, mais aussi de la détermination. Peut-on choisir ? Les églises désertées, ce n’est pas un bon signe. Mais c’est un signe (1). Une Église en crise « systémique », le déplacement des valeurs vers la société civile, cela aussi est sous nos yeux.
Alors, que faisons-nous, petit peuple ?
Dans un monde aux repères incertains, le message évangélique, la Bonne Nouvelle a du mal à se faire entendre. Et pourtant, ce message d’espérance est porté par tant de voix. Mais tant de voix différentes, tant de « sensibilités », de « chapelles »… Peut-être faut-il y voir un autre signe. En revivant la semaine pascale, nous avons écouté à nouveau la dernière prière du Christ : « Que tous soient un ».


L’unité, ce n’est pas seulement un élan d’œcuménisme en incessant devenir ; c’est une perspective à envisager dans nos engagements respectifs. Pour ce qui concerne le chant religieux ou liturgique, nous avons un chemin d’espérance à entreprendre. Du chant grégorien à ce que l’on appelait, il y a peu, les « musique actuelles chrétiennes » (MAC), l’expression de la foi et le service de la liturgie par la musique et le chant ont aujourd’hui des formes multiples, variées. Signe du temps ? Bien entendu. Au cœur d’une
société éparpillée, clanique, individualiste, revendicative, dans laquelle l’autorité est suspecte, l’uniformité n’est plus de mise. Mais l’unité ? L’unité est ce qui manque au corps social comme elle fait défaut à notre Eglise. Construire l’unité dans la diversité est sans doute parmi les missions difficiles auxquelles il faut s’attacher en ces nouveaux temps nouveaux.

L’ACCREL affiche dans ses statuts son ouverture à toutes les sensibilités musicales. Et pourtant… les auteurs et compositeurs qui la fréquentent sont plutôt de la même veine. Par défaut. D’autres expressions musicales n’y ont pas pris leur place. La porte entr’ouverte n’est surement pas indiquée de manière suffisamment visible. Si les signes du temps nous interpellent, il nous revient de l’ouvrir à deux battants.

C’est, pour l’ACCREL, une nécessité contemporaine, une urgence. Dans une Église en marche synodale, qui s’interroge sur la répartition des taches entre ses membres, chacun est appelé à la conversion, mais aussi tout groupement, toute institution, toute association (2). La représentativité de l’ACCREL est une composante
de son autorité morale. Que ce soit en qualité d’interlocuteur des évêques et des éditeurs ou dans l’accompagnement des auteurs et compositeurs, porteurs d’Évangile dans la création des chants
religieux, l’association doit être le reflet du peuple de Dieu.
C’est le sens d’une résolution arrêtée lors de notre assemblée générale, en janvier dernier : ouvrir largement l’association, dans l’unité.
A vos plumes !
Jean Yves

1 Nous pouvons bien sûr accepter ce Carême d’églises vides et silencieuses simplement comme une brève mesure temporaire qui sera bientôt oubliée. Mais nous pouvons aussi l’utiliser comme un kairos : un moment opportun pour « décoller » et chercher une nouvelle identité pour le christianisme dans un monde qui change radicalement sous nos yeux. (TOMÁŠ HALÍK, Le signe des églises vide. Pour un nouveau départ du christianisme)
2 « …il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin. Une telle transformation nécessite la conversion personnelle et communautaire et nous pousse à regarder dans la même direction que celle indiquée par le Seigneur. » (lettre du pape François au peuple de Dieu, 2018)

(mai 2023)

Le talent et l’Esprit saint
Cela a du vous arriver de vous enquérir de la manière dont auteurs et musiciens trouvent l’inspiration. Parmi les réponses les plus variées, il en est une, plus spontanée que les autres, de celles qui sont intouchables, difficiles à contredire sans heurter les sensibilités orantes : « Moi, c’est l’Esprit Saint qui m’inspire ». Laborieux scribouillards, celle-là nous ne l’attendions pas ! C’est que, dès lors, critiquer une œuvre insufflée de telle manière, ce serait prendre le risque de dire du mal du patron ! Laissez venir à moi les petits enfants…

Il est vrai que dans « inspiration », le souffle est forcément essentiel (les théologiens parlent de « pneumatologie », du grec pneuma, « esprit »). De là à attendre que l’Esprit joue le rôle de la muse dans ce qui est notre travail, cela ne manque pas d’air !

Il y a une vérité qui s’impose, tout de même : on ne peut créer sans talent, lequel est un don. A chacun le sien. Ce que nous savons aussi, c’est que le talent ne peut être enfoui ; il nous est donné pour porter du fruit. C’est ce que nous raconte cette parabole, justement dite « des talents » : le maître – sans doute bien inspiré – en a confié en quantités différentes à ses ouvriers (la fable ne dit rien en qualité), signe qu’il les connait bien. La chute de l’historiette édifiante est sans pitié : celui qui s’est contenté d’attendre sans rien faire le retour du chef a passé un mauvais quart d’heure ! De toute évidence, il n’a pas eu d’aide extérieure pour lui souffler un placement rentable. Et de son talent, il n’a rien produit. Misère !

En quelque sorte, si le talent est une valeur sûre, encore faut-il l’investir pour en tirer des bénéfices (du latin bene, « bien », et facere, « faire » : bien faire). Peut-être est-ce là une forme de travail ? Voilà de quoi nous rassurer, et même plus, nous encourager. Car il faut du courage, de la ténacité, un investissement personnel essentiel pour mener à bien un travail d’écriture. Celui-là est fait d’apprentissage, de curiosité, d’ouverture, d’écoute et d’expérience ; mais aussi de doutes, de ratures, de lassitude, de brumes. Et de lumière, en fin.

Depuis toujours, les ateliers de formation de l’ACCREL s’appliquent à répondre à ce besoin des auteurs et musiciens (de tous âges) d’apprendre encore et toujours à manier l’art qu’ils ont choisi de servir dans le chant religieux. Sans nul doute, le souffle de l’Esprit est présent dans ce rassemblement fraternel et surabonde le travail qu’on y apporte. Comme il peut visiter chacun dans son labeur d’artiste, dès lors qu’il s’est mis en chemin… sans attendre.

A vos plumes !
(novembre 2022)

Chant du peuple et musique du monde.
Durant la célébration de l’Épiphanie à Saint Pierre de Rome, le jeudi 6 janvier 2022, le pape François a posé la question : « Nos paroles et nos rites déclenchent-ils dans le cœur des gens le désir d’aller vers Dieu ou sont-ils une « langue morte ? » Et d’en rajouter : « Ne sommes-nous pas bloqués depuis trop longtemps, parqués dans une religion conventionnelle, extérieure, formelle, qui ne réchauffe pas le cœur et ne change pas la vie ? »

Les plus savants nous diront, avec raison, qu’il faut distinguer religion, liturgie et rite. Certes, mais en langage savant seulement. Quand on parle avec le cœur, les subtilités s’effacent : dans la pratique religieuse, si la célébration est ennuyeuse, la liturgie (service/action du peuple) est « langue morte », absente. Le chant y est parfois pour quelque chose ; le célébrant aussi ; l’assemblée de même ; et tant d’autres détails accumulés… Et le rituel ? Charpente de l’ensemble, il lui donne forme, le supporte, l’oblige. Mais pour l’Homme, il en est du rituel comme du sabbat : lequel est fait pour l’autre ?

Vatican II n’a fait que préciser le rapport entre chant religieux et rituel – Sacrosanctum concilium, paragraphe 112 : la musique sacrée exerce une fonction ministérielle. Il s’ensuit que « partie intégrante de l’action liturgique » le chant rituel, que ce soit le texte ou la musique, est serviteur – et c’est heureux ! Mais c’est aussi la misère des auteurs et compositeurs, soumis aux contraintes rituelles… Écrivent-ils pour le troupeau ou pour la multitude ? S’inscrivent-ils dans un monde culturel intra muros ou dans une dynamique de sortie ? Sont-ils des serviteurs zélés ou des artistes en dialogue ? Quand la plume glisse sur la page blanche, le cérémonial pourrait bien prendre plus de place que l’épiphanie… Conséquence de l’asservissement du chant au rituel, ne faudrait-il pas commencer par s’inquiéter de la compréhension de nos rites hic et nunc, ici et maintenant ?

Nous vivons une époque de conversion nécessaire – durement rappelée par le rapport de la Ciase ; et, dans le même temps, une démarche incertaine vers la synodalité – voulue par le pape François. Un espoir nouveau s’est éveillé chez beaucoup. Cependant, la portée d’un nouvel aggiornamento nous échappe, voilée en interne par les tensions de notre Église, et en externe par un langage conventionnel déprécié. Nous contenterons-nous de faire évoluer le système sans actualiser le message ? Serons-nous assez volontaires, assez courageux, suffisamment inspirés pour interroger aussi nos pratiques religieuses, confrontées au monde qui est le notre ? Comment, sans trahir, sans appauvrir, laisser passer la lumière à travers l’opacité de nos discours, de nos rites et de nos conventions ? Par le dialogue, l’écoute, assurément, dans et hors les murs.

Si le chant du peuple de Dieu n’est que pour son Seigneur, la lampe demeure sous le boisseau. Tandis que nous chantons, le monde a faim et soif. Heureux sommes-nous de vivre cette autre époque du tout possible ; avec ses incertitudes, ses dangers, mais aussi cette espérance concrète que chante le peuple de Dieu sur la musique du monde.

A vos plumes !
Jean Yves